Le Dictatus papae de Grégoire VII

En février 1075, un synode romain condamne, comme simonie (trafic des choses saintes, des fonctions ecclésiastiques ou des bénéfices, notamment des évêchés), toute investiture de bénéfice ou de dignité ecclésiastique, donnée par des laïcs, et défend, en conséquence, aux seigneurs de la donner, et aux évêques et aux abbés de la recevoir.

En mars, Grégoire VII (pape de 1073 à 1085, canonisé en 1606) édicte un ensemble de 27 propositions : le Dictatus papae (= Dicté par le Pape) où sont énoncés pour la première fois les principes de la théocratie pontificale.

Par le Dictatus papae, qui ne sera publié ni dans le Saint-Empire, ni en Espagne, ni en Angleterre, Grégoire proclame l’évêque de Rome souverain absolu de l’Eglise et affirme son autorité sur les rois.

Il se reconnaît le droit de déposer les princes et les évêques dans l'Église universelle, de délier les sujets du serment de fidélité et affirme qu'il ne peut être jugé par personne.

En interdisant les investitures laïques, il inaugure la Querelle des investitures entre la papauté et le Saint Empire Romain Germanique (SERG). L’empereur Henri IV réplique en installant son chapelain comme évêque de Milan.

La querelle, marquée par la soumission de l'empereur à Canossa (1077) et par la mort du pape en exil (1085), durera jusqu’en 1122.

"Si le Saint-Siège a reçu de Dieu le pouvoir de juger les choses spirituelles, pourquoi ne jugerait-il pas aussi les choses temporelles ?" (Grégoire VII)


Dictatus papae

Grégoire VII énonce :

1. Quod Romana ecclesia a solo Domino sit fundata 2. Que l’Eglise romaine a été fondée par Dieu seul 1.

2. Quod solus Romanus pontifex iure dicatur universalis. Que seul le Pontife romain peut être appelé de droit universel.

3. Quod ille solus possit deponere episcopos vel reconciliare. Que lui seul peut déposer ou rétablir des évêques.

4. Quod legatus eius omnibus episcopis presit in concilio etiam inferioris gradus et adversus eos sententia depositionis possit dare. Que, dans un concile, son légat, même de grade peu élevé, est au-dessus de tous les évêques et peut prononcer la déposition de l’un d’eux.

5. Quod absentes papa possit deponere. Que le pape peut déposer quiconque en son absence.

6. Quod cum excommunicatis ab illo inter cetera nec in eadem domo debemus manere. Que, parmi d’autres choses, il ne nous est pas permis de rester dans la même maison que ceux qu’il a excommuniés.

7. Quod illi soli licet pro temporis necessitate novas leges condere, novas plebes congregare, de canonica abbatiam facere et e contra, divitem episcopatum dividere et inopes unire. Qu’il possède seul le droit, selon les besoins du temps, de faire de nouvelles lois, de rassembler de nouvelles communautés, de faire d’un chapitre canonial une abbaye ; et, d’autre part, de diviser un riche évêché ou au contraire, d’en unir des pauvres.

8. Quod solus possit uti imperialibus insigniis. Que lui seul peut porter les insignes impériaux.

9. Quod solius pape pedes omnes principes deosculentur. Qu’au pape seul, tous les princes embrasseront les pieds.

10. Quod illius solius nomen in ecclesiis recitetur. Que seul son nom sera prononcé dans les églises.

11. Quod hoc unicum est nomen in mundo. Que c’est là le seul nom dans le monde.

12. Quod illi liceat imperatores deponere. Qu’il lui est permis de déposer des empereurs.

13. Quod illi liceat de sede ad sedem necessitate cogente episcopos transmutare. Qu’il lui est permis de déplacer des évêques si besoin est.

14. Quod de omni ecclesia quocunque voluerit clericum valeat ordinare. Qu’il a le pouvoir d’ordonner un clerc de n’importe quelle église qu’il peut souhaiter.

15. Quod ab illo ordinatus alii ecclesie preesse potest, sed non militare ; et quod ab aliquo episcopo non debet superiorem gradum accipere. Que celui qui est ordonné par lui peut diriger toute église, mais ne peut pas tenir de rang subalterne ; et que nul ne peut obtenir un rang plus élevé d’aucun évêque.

16. Quod nulla synodus absque precepto eius debet generalis vocari. Qu’aucun synode ne sera qualifié de général sans son ordre.

17. Quod nullum capitulum nullusque liber canonicus habeatur absque illius auctoritate. Qu’aucun chapitre et aucun livre ne sera considéré comme canonique sans son autorité.

18. Quod sententia illius a nullo debeat retractari et ipse omnium solus retractare possit. Qu’un jugement prononcé par lui ne peut être annulé par quiconque ; et que seul lui-même, parmi tous, peut le faire.

19. Quod a nemine ipse iudicari debeat. Que lui-même ne peut être jugé par personne.

20. Quod nullus audeat condemnare apostolicam sedem apellantem. Que personne n’ose condamner celui qui fait appel au siège apostolique.

21. Quod maiores cause cuiuscunque ecclesie ad eam referri debeant. Qu’il tranchera de manière définitive dans les cas les plus importants de chaque église.

22. Quod Romana ecclesia nunquam erravit nec imperpetuum scriptura testante errabit. Que l’Eglise Romaine ne s’est jamais égarée ; elle ne s’égarera pas de toute l’éternité, comme en témoignent les saintes Ecritures.

23. Quod Romanus pontifex, si canonice fuerit ordinatus, meritis beati Petri indubitanter effecitur sanctus testante sancto Ennodio Papiensi episcopo ei multis sanctis patribus faventibus, sicut in decretis beati Symachi pape continetur. Que le pontife Romain, s’il a été canoniquement élu, est fait saint, de manière indubitable, par les mérites de saint Pierre et saint Ennode, évêque de Pavie, qui témoignent pour lui, beaucoup de saints pères étant d’accord avec lui, ainsi qu’il est écrit dans les décrets du pape Symmaque.

24. Quod illius precepto et licentia subiectis liceat accusare. Que, par son pouvoir et son consentement, des subalternes auront le droit de porter des accusations.

25. Quod absque synodali conventu possit episcopos deponere et reconciliare. Qu’il peut déposer et rétablir des évêques en dehors de toute assemblée ou concile.

26. Quod catholicus non habeatur, qui non concordat Romane ecclesie. Que celui qui n’est pas en paix avec l’Eglise Romaine ne peut pas être considéré comme catholique.

27. Quod a fidelitate iniquorum subiectos potest absolvere. Qu’il peut délier des sujets de leur fidélité (féauté) à de mauvais hommes.


Citations

La lutte qui s’engage en affrontant d’une part l’Église romaine aux évêques et d’autre part le pouvoir spirituel au temporel, va inciter le pape à affirmer ses titres, l'origine et l’étendue de son autorité. Les Dictatus papæ, apport personnel de Grégoire VII à la réforme, répondent directement à cette nécessité. Le pape y condense, en maximes laconiques, toute la doctrine éparse dans les canons ; c’est le formulaire qui inspire toute son action et qui fait désormais de la réforme l’œuvre et l’expression de l’autorité romaine. (Jean Rousset, La Réforme grégorienne, 1927) 2

Il n'y avait pas de plus fervent partisan des idées théocratiques que Grégoire VII, l'auteur des Dictatus papæ. (Bernard Rapp, + 2006) 2


Notes
1 http://www.encyclopedie-universelle.com/reforme-gregorienne2.html
2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dictatus_pap%C3%A6
3 http://www.introibo.fr/25-05-St-Gregoire-VII


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 11/02/2024

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