L’hésychasme

Dans la spiritualité de l'Église orthodoxe, l’hésychasme est une méthode ascétique et mystique.
L'ermite grec pratiquant cette méthode était appelé hésychaste ou hésychiaste du grec hêsuchiastês (qui cherche le repos ; de hèsuchia = repos, issu de hèsuchos = qui est en repos, littéralement qui reste assis).
Par moquerie, il était aussi surnommé omphalopsyque (celui qui a son âme dans le nombril) car il priait la tête penchée sur la poitrine.

L’hésychaste utilise l'invocation répétée du nom de Jésus sur le rythme de la respiration et, finalement, celui du cœur : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! ». D'où le nom de prière de Jésus ou prière du cœur donné à cette méthode, semblable à certaines méthodes orientales (dhikr musulman, japa-yoga hindou, nembutsu japonais).

Le chapelet byzantin (tchotki russe, komboskini grec ou matanii roumain) est utilisé par les orthodoxes et les catholiques orientaux. Confectionné en laine, il est composé de 30, 33 ou 100 nœuds sur chacun desquels on récite la prière du nom de Jésus.


Chronologie historique

L'hésychasme est attesté dès les origines du monachisme (IIIe et IVe siècles).
On attribue à saint Arsène, anachorète dans le désert de Scété en Egypte (+ 449), les grands principes de la vie hésychaste.
« Aussi, très pédagogiquement, le Christ dit à Arsène : « Reste tranquille ! », ce qui en grec se dit hésuchasé ! Cette pratique est à l'origine de l'hésychasme, courant monastique de solitude qui, en réalité se confond avec les origines mêmes du monachisme oriental. Ce fondement se retrouve dans toute vie et recherche authentique de Dieu, en Orient comme en Occident. Il ne peut y avoir de vie monastique, de vie de solitude ou de vie de relation authentique à Dieu sans cette ascèse de la disponibilité à son œuvre créatrice en nous, sans rester tranquille sous sa main puissante » 1.

L'hésychasme s'affirme au Sinaï avec Jean Climaque (+ 605). A vingt ans, celui-ci se fait ermite près du monastère de Sainte-Catherine dont il devient le supérieur après quarante ans de vie érémitique. Son surnom lui vient de la plus célèbre de ses oeuvres, l'Echelle (Klimax en grec), un traité de vie spirituelle dans lequel il décrit le cheminement du moine de la renonciation au monde à la perfection de l'amour, qui se réalise en trente échelons de cette échelle :
"Le vrai solitaire s'efforce de tenir renfermée et comme en prison dans son propre corps la substance incorporelle de son âme — suprême paradoxe." (L'Echelle sainte, degré 27.7)
"Ayez soin de vous tenir sur la partie la plus élevée de vous-même pour voir comment, quand, et d'où viennent les voleurs qui désirent ravager la vigne spirituelle de votre âme, et pour connaître combien ils sont nombreux. Une âme fatiguée des exercices de piété saura bien se rétablir et vaquer à la prière, et puis après reprendre ses exercices spirituels avec une ardeur toute nouvelle." (L'Echelle sainte degré 27.23-24)
"Quand tu pries, ne recherche pas de mots compliqués, car le bégaiement, simple et sans variété, des enfants a souvent touché leur Père des cieux. Ne cherche pas à beaucoup parler quand tu pries, de peur que ton esprit ne se distraie à chercher les mots. Un seul mot du publicain apaisa Dieu et un seul cri de foi sauva le larron." (Jean Climaque, Echelle, degré 28)

Hésychius (VIIe/VIIIe s), disciple de Jean Climaque et higoumène du monastère de Batos (au Sinaï), écrit deux Centuries Sur la sobriété et la vertu.

Les hésychastes se livrent à la vie contemplative, et la gloire céleste est le sujet de leurs méditations.
Ils font des efforts incroyables pour s'élever au-dessus des impressions des sens, et ils arrivent, par une tension extrême de toutes leurs facultés, à un état d'hallucination où ils croient percevoir une lumière céleste, émanation de la gloire des bienheureux.
Ils s'imaginent recevoir un avant-goût des béatitudes célestes en voyant une lumière éclatante qui, pour eux, n'est autre qu'une émanation de la substance divine, une lumière incréée, celle que les apôtres ont vue sur le Thabor, à la transfiguration de Jésus-Christ.
Comme ils prient en penchant la tête sur leur poitrine pendant un temps prolongé (d’où leur surnom de contemplateurs du nombril), cet éblouissement peut être causé par l'afflux du sang vers le cerveau.

L’hésychasme fait grand bruit à Constantinople et excite l'enthousiasme de la foule ignorante et crédule.
Il cause de nombreuses disputes, donne lieu à des assemblées d'évêques, à des censures, à des livres qui sont écrits, pour ou contre.
Les hésychastes ont d'abord pour adversaire l'abbé Barlaam, natif de la Calabre, moine de Saint-Basile et depuis évêque de Gierace.
En visitant les monastères du mont Athos où ces mystiques bizarres sont en fort grand nombre, il condamne cette folie, traite les moines de fanatiques et les censure vivement.
Mais Grégoire Palamas (+ 1360), autre moine et archevêque de Thessalonique, prend leur défense et fait condamner Barlaam dans un concile de Constantinople en 1341.
Grégoire Palamas compose les Triades pour la défense des saints hésychastes.
Dieu, d'après Palamas, habite dans une lumière éternelle distincte de son essence ; les apôtres virent cette lumière sur le Thabor, et toutes les créatures qui en sont dignes peuvent en recevoir une portion.
La doctrine palamite, distinguant en Dieu l'essence (inaccessible) et le participable (les énergies visibles), est un point de théologie encore discuté par les Eglises d'Orient et d'Occident.

Gregor Palamas

Un autre moine, Grégoire Acyndinus, combat l'opinion de Palamas et vient à l'appui de Barlaam.
Il soutient que les attributs de la divinité n'étant point distincts de son essence, nulle créature ne peut en recevoir quelque portion sans participer à l'essence divine. Acyndinus est condamné, aussi bien que Barlaam, par un nouveau concile, tenu à Constantinople eu 1351. Les hésychastes sont alors laissés en paix mais ils ne font pas de nombreux prosélytes et restent isolés dans leurs monastères de l’Athos.

Grégoire le Sinaïte (+ 1346), dont les écrits spirituels forment une partie fondamentale de la Philocalie, est considéré comme un des pères du mouvement hésychaste.

Nicolas Cabasilas (+ 1391), qui compose deux livres majeurs, L’interprétation de la sainte Liturgie et une Vie de Jésus, rappelle que la déification et l’union au Christ constitue le but de la vie spirituelle de tout chrétien, transfigurant ainsi la culture humaniste de son temps pour se faire le docteur de l’hésychasme sacramentel.

Nil de La Sora ou Nil Sorski (+ 1508) propage en Russie la grande tradition de l’hésychasme.
Originaire de Moscou, il se fait moine au monastère Saint Cyrille du Lac-Blanc, puis il part en pèlerinage jusqu’à Constantinople, de monastère en monastère et vit même au Mont Athos où il apprend le grec et médite en profondeur les écrits des Pères sur la garde de l’intellect et la prière du coeur.
Il revient au Lac Blanc avec le projet d’y introduire le mode de vie des skites.
Humble et menant une vie ascétique, il rédige un Typikon sur les modes de vie des moines, en particulier la suppression de leurs grandes propriétés, malgré l’opposition de Joseph de Volokolamsk.
Evitant toute querelle, il se retire dans l’hésycha, se réconcilie avec Joseph et s’endort en paix dans son skite de la Sora. 2

Innocent de Vologda (+ 1521), originaire de Moscou, est le premier disciple de Nil Sorski et voyage avec lui à Constantinople et au Mont Athos. Il rédige une Introduction aux écrits de saint Nil avec cette phrase de bon sens : "La purification du coeur se réalise plus par la vigilance et la prière intérieure que par les prescriptions extérieures et l'ascèse corporelle." 3

Nicodème l'Hagiorite (1748-1809) est le rénovateur de la tradition hésychaste. Né à Naxos, il fait ses études à Smyrne. Il se lie au métropolite Macaire de Corinthe qui soutient les moines rénovateurs du mont Athos. Nicodème les rejoint en 1775 et reçoit le surnom d'Hagiorite (de la sainte montagne).
Il participe avec Macaire à la mise au point de la Philocalie, une anthologie de textes sur la prière (1777/1782), et travaille sur l'œuvre de Grégoire Palamas, chef de file de l'école hésychaste, à l’aide des manuscrits des monastères de l'Athos.
Il évoque lui-même les principes de la tradition hésychaste dans son traité La Garde des cinq sens, de l'imagination, de l'esprit et du cœur.
Il meurt le 14 juillet 1809. Le patriarche Athênagoras Ier le canonisera en 1955.

En 1794, meurt Païssy Velitchkovsky qui introduisit la pratique hésychaste en Moldavie.

Silouane l'Athonite (+ 1938), Syméon Ivanovitch Antonov, est un saint très moderne, très proche de nous, et essentiel pour connaître la spiritualité chrétienne orientale. Né en Russie, il est devenu moine au mont Athos et s'est inscrit dans la tradition des Pères du Désert et de la Philocalie 5. Silouane va connaître, au monastère, des tentations alternées d’orgueil et de désespoir : désespoir de constater que l’orgueil lui colle à la peau et qu’il ne peut s’en défaire. L’épreuve est si longue et si dure qu’il en arrive à se croire condamné, damné même. C’est alors que le Christ lui apparaît et lui dit : « Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas. » Silouane a compris que si bas qu’il puisse descendre, Jésus est là. Il vivra désormais dans la douceur et la prière continuelle, priant pour le monde entier et semant la paix autour de lui, jusqu’à sa mort.

Avec l’extension de l’orthodoxie, la prière de Jésus se répand aujourd’hui, en Occident.

A noter qu'en Occident, les Jésuates de Saint Jérôme (Ordre fondé par Jean Colombino de Sienne et approuvé par Urbain V en 1367) étaient ainsi nommés parce qu'ils répétaient sans cesse le nom de Jésus et qu'ils avaient pris Jérôme de Stridon pour leur protecteur. Ils distribuaient gratuitement aux pauvres malades des médicaments qu'ils préparaient eux-mêmes. Après avoir suivi une règle particulière, ils furent placés sous celle de Saint-Augustin. L'Ordre fut supprimé par Clément IX en 1668 ; cependant, les religieuses jésuates, également instituées par Colombino, ne le furent pas 4.


Citations

Arme-toi de la prière, flagelle tes ennemis (les démons, ndlr) avec le nom de Jésus.
Dieu donne la prière à celui qui prie.
Quand tu pries, ne recherche pas de mots compliqués, car le bégaiement, simple et sans variété, des enfants a souvent touché leur Père des cieux. Ne cherche pas à beaucoup parler quand tu pries, de peur que ton esprit ne se distraie à chercher les mots. Un seul mot du publicain apaisa Dieu et un seul cri de foi sauva le larron. (Jean Climaque + 605, Echelle, degré 28)

Reste en faction à la porte de ton coeur (...) Celui qui, par la prière, presse le Seigneur Jésus sur son coeur, ne peinera pas en le suivant. Il ne sera pas confondu par ses ennemis, les démons impies, qui rôdent autour de lui. Il arrêtera les démons à la porte de son coeur. Et, par Jésus, il les fera fuir (les démons étant les cogitations mauvaises ou celles qui nous dispersent et nous tiraillent) (...) Que le Nom de Jésus colle à ton souffle ; alors, tu connaîtras le secours de la paix intérieure qui vient de Dieu (...) Ne cessons de faire tournoyer le nom de Jésus dans les espaces de notre cœur comme l'éclair tournoie au firmament quand s'annonce la pluie (...) La prière, c'est la réflexion qui s'immobilise (...) Le silence, c’est d’avoir surmonté complètement tous les discours, c’est la liberté par rapport à toutes les images, sensibles et intellectuelles : l’âme doit être totalement exempte d’images. (Hésychius de Batos VIIe/VIIIe s.)

Mon Seigneur Jésus Christ, mon Dieu, ne permets pas que je fasse ou dise ou pense ce que Tu ne veux pas. Tant de fautes passées me suffisent. Mais comme Tu veux, aie pitié de moi. J'ai péché, comme Tu sais : aie pitié de moi. Je crois, Seigneur, que Tu entends ma pauvre voix. Aide mon incroyance, Toi qui, avec l'être, m'as donné d'être chrétien. [Pierre Damascène (Mansour), XIe siècle]

Lorsque l’âme est transportée et comme mise en mouvement par l’amour irrésistible envers l’Unique Désirable, le cœur se met lui aussi en mouvement, indiquant par des bonds spirituels qu’il est en communion avec la grâce, comme s’il s’élançait d’ici-bas pour rencontrer le Seigneur, lorsqu'il viendra avec son corps, dans les nuages comme il a été promis. Ainsi, dans la prière continue, lorsqu'apparaît le feu intelligible, lorsque s'allume l'intelligible flambeau et lorsque par la contemplation spirituelle, l'esprit éveille l'amour en une flamme aérienne, le corps, lui aussi, d'une manière étrange, devient léger et chaud. A ceux qui le voient, il paraît sortir du feu d'une fournaise sensible... (Grégoire Palamas + 1360, Triade I, 3, 32)
Les crocs des loups au milieu desquels le Christ a envoyé son disciple Démétrios ont, par leur morsures, ouvert en son corps des sources par lesquelles une grande allégresse s’écoule sur le troupeau du Christ. (Grégoire Palamas – Eloge de Démétrios)

O grandeur des mystères ! Il est donc possible que l’esprit du Christ se fonde avec notre esprit et son vouloir avec notre vouloir, que son corps soit mélangé à notre corps et son sang à notre sang ! Que devient notre esprit quand l’esprit divin s’en est rendu maître ! Que devient notre vouloir quand le vouloir bienheureux le subjugue ! [] Le Mauvais a eu le pouvoir, par la main des tyrans, de déchirer et d’arracher la peau des martyrs du Christ, de hacher leurs membres, de broyer leurs os, de répandre leurs entrailles. Mais ôter ce vêtement-là, le Christ revêtu au baptême, et dénuder du Christ les bienheureux, cela échappa si bien à ses artifices qu’à son insu, il les vêtit bien mieux qu’auparavant. (Nicolas Cabasilas + 1391, La vie en Christ)

Dieu n’abandonne jamais l’âme qui espère en lui au point qu’elle soit vaincue par les tentations puisqu’il connaît nos infirmités. Si les hommes ont tant de prudence, l’infinie prudence de Dieu n’est-elle pas beaucoup plus grande ? (Nil Sorski + 1508, Règle monastique)
Que vous soyez seul dans votre cellule d’ermite ou au monastère parmi vos frères, fixez votre attention sur les Saintes Ecritures et marchez sur les pas des saints Pères… Le regard de Dieu voit tout et remarque tout. Ce qu’il nous envoie est un effet de sa miséricorde. (Nil Sorski, Lettre III à l’un de ses frères).
La tristesse qui nous tourne vers Dieu est salutaire. La tristesse qui lui est contraire nous est suggérée par le démon. Il faut donc la combattre par la prière, la lecture et au moyen de contacts et d’entretiens avec des hommes spirituels. Elle devient alors espérance et joie. (Nil Sorski, Testament)

Où es-Tu, ô ma lumière ? Je Te cherche avec des larmes. Tu as eu pitié de moi et Tu m’as montré ton visage. Maintenant mon âme a soif de Toi, mon Dieu ! Comme un enfant qui a perdu sa maman, elle pleure vers Toi jour et nuit et ne trouve pas la paix. (Silouane l'Athonite + 1938, Ecrits spirituels)
Le Saint Esprit unit tous les hommes, et c'est pourquoi les Saints nous sont proches. Lorsque nous les prions, alors, par le Saint Esprit, ils entendent nos prières et nos âmes sentent qu'ils prient pour nous. (Silouane, Vie de saint Silouane l'Athonite)


Notes
1 L'Hésychia, Chemin de la tranquillité surnaturelle et de la fécondité ecclésiale, par un frère Carme, Éditions du Carmel, Toulouse, 2008
2 http://infocatho.cef.fr/
3 http://nominis.cef.fr/contenus/saint/6219/Saint-Innocent-de-Vologda.html
4 http://www.cosmovisions.com/$JesuatesSaintJerome.htm
5 http://www.mariedenazareth.com/15214.0.html?&L=0


Sources


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 07/05/2024

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