L’iconoclasme byzantin

Le terme iconoclasme (du grec eikon = image et kloein = briser) désigne toute doctrine et tout mouvement qui s'élèvent contre l'utilisation religieuse d'images (icônes), notamment celui qui ravagea l'Empire byzantin aux VIIIe et IXe siècles.
Le néologisme iconoclastie est la disposition à être partisan de l'iconoclasme, à briser les images.
Le partisan de l'iconoclasme ou de l'iconoclastie est un iconoclaste.

En opposition au courant iconoclaste, l'iconodulie ou iconodoulie, est un courant de pensée favorable aux icônes et à leur vénération.
L'iconolâtrie est l'adoration des icônes.

L’icône est la représentation religieuse peinte sur bois que l'on rencontre surtout dans les églises chrétiennes orientales.
D'une grande beauté artistique, les icônes font souvent, dans l'Église orthodoxe, l'objet d'une véritable vénération et de nombreux pèlerinages.

Dans les Eglises Byzantines et Coptes, un mur d'icônes, appelé iconostase, sépare le sanctuaire (là où est célébrée la Divine Liturgie) et la nef (où sont placés les fidèles). Il faut le considérer comme une porte, un passage entre le monde terrestre et le monde divin.

L'ANICONISME 1 est l'absence de représentations matérielles du monde naturel et surnaturel dans différentes cultures, en particulier dans les religions monothéistes telles que le judaïsme et l'islam.
C'est par obéissance au deuxième commandement du Décalogue (« Tu ne te feras pas d'idole (image) ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel » [Exode 20,4-6]) qu'il est interdit, dans de nombreux cultes issus de la Bible, de représenter un être divin ou une autre entité. Ce commandement a pour but de lutter contre l’idolâtrie (adoration des images ou d'une divinité sculptée ou peinte).
Dans le judaïsme, puis dans le christianisme et l'islam, les cultes rendus aux idoles ainsi que leur représentation sont absolument interdits. Comme le judaïsme (la Torah met clairement en garde contre toute forme de représentation : Exode, 20, 3), l'islam enjoint de jeter bas les idoles, à l'exemple de son prophète (Mahomet), qui renversa les idoles de la Kaaba (dans le Coran, sourate 21, versets 51-70, se trouve le récit d'Abraham détruisant les idoles).
À l'origine, la chrétienté interdit les images ("Petits enfants, gardez-vous des idoles" [I Jean 5,21]) ; elle représente toutefois des symboles tels que la croix, l'agneau, le poisson, l'étoile de la Nativité et quelques autres manifestations du mystère chrétien.
Au Moyen Âge, l'interdit disparaît, et de nombreuses images, notamment sculptées, de Jésus, de la Vierge et des saints ornent les monuments romans et clunisiens, provoquant une réaction de saint Bernard et des cisterciens qui dénoncent ces débordements imagiers et prônent un retour à la rigueur et au dépouillement.


Chronologie historique

En 726, éruption volcanique sous-marine du Santorin : les récits historiques relatent un « bouillonnement de la mer », l’arrivée massive de « pierres flottantes » sur les côtes d'Asie mineure et de Macédoine, et la formation d'une nouvelle île dans la mer Égée ; un phénomène qui aurait d'ailleurs été interprété par l'Empereur Léon III de Constantinople comme une manifestation du courroux divin face au culte des icônes ; l’empereur byzantin et quelques évêques d’Asie Mineure, amorcent une propagande contre l’icône, surtout celle du Christ ; en automne, l’empereur rejette le culte des images et ordonne de remplacer l’image du Christ qui surmonte la Porte de Bronze du Grand Palais (Chalcè) par une croix ; l'exécutant est massacré par la foule ; l’empereur proscrit les images par un décret désavoué par le patriarche Germain qui abdique, et réprouvé à Rome, par le pape Grégoire II, et à Jérusalem par le moine Jean de Damas.
L’argument opposé à l'iconoclasme, formulé par Jean Mansour (dit Jean de Damas ou Jean Damascène + 749), théologien syrien et père de l'Église, consiste à affirmer que cette doctrine renie l'un des principes fondamentaux de la foi chrétienne : la doctrine de l'incarnation. La naissance du Christ en tant qu'homme permet sa représentation qui, dans un certain sens, participe de la divinité, à l'instar du sujet évoqué. Le rejet des images correspond donc au rejet de leur sujet.
« Lorsque Celui qui existe de toute éternité dans la forme de Dieu, s’est dépouillé en assumant la forme d’esclave, devenant ainsi limité dans la quantité et la qualité, ayant revêtu la marque de la chair, alors figure-Le sur une planche et expose à la vue de tous Celui qui a voulu apparaître. » (Jean Damascène 676-749).
"Ce n’est pas la matière que j’adore mais le créateur de la matière qui, à cause de moi, s’est fait matière, a choisi sa demeure dans la matière. Par la matière, il a établi mon salut. En effet, "le Verbe s’est fait chair et il a dressé sa tente parmi nous"… Cette matière, je l’honore comme prégnante de l’énergie et de la grâce de Dieu." (Jean Damascène, Discours sur les images, 730)


Jean de Damas,
d’après une peinture murale du monastère de Varlaam des Météores (Grèce)

En 727, dans un concile, Grégoire II fait excommunier Léon III et condamner l’iconoclasme.
Ligué avec les Lombards contre l'empereur Léon l'Isaurien et les iconoclastes, le pape soulève l'Italie contre la puissance impériale ; l’empereur, de son côté, veut le faire déposer et arme même des meurtriers contre lui. C'est le premier épisode de la crise iconoclaste, d’une politique impériale de destruction des images sacrées, confirmée par un nouvel édit interdisant la vénération des images en 730.

En 732, un concile romain, réuni par Grégoire III (731-741), condamne l’iconoclasme et excommunie les iconoclastes.

Mais l’iconoclasme atteint son point culminant sous le règne de Constantin V Copronyme (741-775), fils et successeur de Léon III le fondateur de l’aniconisme byzantin, lorsque des moines subissent le martyre pour défendre les images.
Constantin V, fait condamner le culte des images comme idolâtrie lors d’un concile qui se déroule au palais d'Hieria du 10 février au 8 août 754 : "Toute image résultant de l'art maléfique des peintres, quels que soient les couleurs et les matériaux utilisés, doit être rejetée, éliminée, condamnée..."
En 764, Constantin V fait détruire dans le Milion la fresque des six conciles œcuméniques et la remplace par une représentation des jeux de l’hippodrome et de son cocher préféré.

Le 6 février 780, Byzance connaît un renouveau de l'iconoclasme après la mort du patriarche de Constantinople Nicétas. Le 8 septembre, Irène, épouse de l’empereur byzantin Léon IV, est chargée, à la mort de son mari, de la tutelle de son fils Constantin VI (âgé de dix ans) et couronnée en même temps que lui ; au cours de la même année, elle déjoue un complot vraisemblablement fomenté par les iconoclastes dans le but de placer sur le trône le demi-frère de Léon IV, Nicéphore.

En 787, la régente Irène et le patriarche de Constantinople, Tarasios (ou Taraise), organisent le deuxième concile de Nicée (septième concile œcuménique et dernier concile considéré comme œcuménique par les orthodoxes) qui reconnaît la légitimité du culte des images. Tarasios qui conduit les débats, le fait avec habileté. Le décret doctrinal du concile est très mesuré ; les iconodoules obtiennent satisfaction ; les évêques compromis sont accueillis avec compréhension ; l’honneur de l’Empire est sauf car personne ne souffle mot des doléances du pape Adrien Ier qui réclame un retour aux frontières juridictionnelles d’avant l’iconoclasme.
Charlemagne ne reconnaît pas toutes les clauses du concile de Nicée et envoie un ambassadeur à Rome présenter au pape 85 remontrances : les Libri Carolini, publiés en 791, affirment que c’est effectivement une erreur de détruire les icônes, mais que c’en est aussi une d’imposer leur vénération.
A la suite du concile de Francfort, en juin 794, Charlemagne prend parti contre l’iconoclasme.

L’empereur Léon V l’Arménien réunit en 815 un deuxième concile iconoclaste dans la cathédrale Sainte-Sophie, présidé par le patriarche Théodote.

Le pape Pascal Ier (817-824) établit à Rome une maison de refuge pour les Grecs qui fuient la persécution des iconoclastes.

En 824, le basileus Michel II écrit au carolingien Louis le Pieux une lettre de justification où il expose ce qu’est devenue dans la pratique la dévotion aux icônes et demande l’appui de Rome. En guise de réponse, le pape Eugène II prescrit l’adoration des images, ce qui lui est reproché par le concile de Paris de 825.

Le 2 octobre 829, Théophile devient empereur byzantin ; il fait exécuter les meurtriers de Léon V et reprend la politique iconoclaste.

La querelle prend fin, en 843, avec la condamnation finale de l'iconoclasme au concile de l'Orthodoxie, sous le patronage de l'impératrice Théodora II (régente au nom de son fils Michel III) assistée par le moine Méthode.
A partir de ce moment, tous les ennemis des images sont poursuivis et traqués comme des bêtes fauves ; les pauliciens qui, comme descendants des gnostiques, se sont toujours montrés d'ardents iconoclastes, sont en butte à d'horribles persécutions.
Les icônes ne seront plus contestées mais elles devront être exécutées selon de rigoureux principes théologiques. La vénération ne va pas à la représentation matérielle mais au prototype, la personne de ceux qui sont représentés et dont l’image fixe la présence.

Le mouvement iconoclaste affaiblit la position de l'Empire en suscitant des querelles internes et en exacerbant les différends avec la papauté, qui commence à abandonner l'alliance avec Byzance pour se tourner vers les Francs.

L'apparition de l'iconoclasme (vers 725) et sa condamnation lors des conciles de 787 et 843 sont en définitive le résultat de décisions plus impériales qu'ecclésiastiques, les conciles ne faisant que répondre aux ordres impériaux.

Autres actions iconoclastes :

- Plusieurs chefs religieux protestants (principalement Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève) incitèrent à la destruction des images religieuses (portraits de saints et de saintes, statues, reliques et retables) dont la vénération était assimilée par eux à une adoration idôlatrique et relevait donc du paganisme.
- Pendant la Révolution française, en 1793, eurent lieu des destructions d'œuvres d'art religieuses que l'abbé Grégoire dénonça en inventant le terme de vandalisme.
- En Union Soviétique, suivant l'exemple de Lénine, Staline se mit à encourager la démolition collective des églises. Ce qu'il prévoyait à la place du plus grand édifice de Moscou, l'église du Christ Sauveur, est éloquent : un Palais des Soviets, orné d'une immense statue de Lénine, le nouveau messie. On encouragea les enfants à apporter les icônes religieuses traditionnelles de chez eux pour les brûler sur des feux de joie. À la place, on leur donnait des affiches de l'ancien leader bien-aimé à ramener à la maison. 2
- En 2001, après avoir survécu relativement épargnées durant plus de quinze siècles, avoir assisté à la destruction de la ville de Bâmiyân par les Mongols de Genghis Khan en 1221, avoir subi l'occupation soviétique, les statues des Bouddhas de Bâmiyân sont décrétées idolâtres par Mohammed Omar et les talibans les détruisent au moyen d'explosifs et de tirs d'artillerie. En mars 2001, les deux statues avaient disparu après presque un mois de bombardement intensif.
- En février 2015, des membres de l'État islamique détruisent dans le musée de Mossoul une collection de statues et de sculptures, dont certaines remontent au VIIe siècle av. J.-C., sous prétexte de combattre l'idolâtrie.
- L'Arabie saoudite pratique une politique wahhabite rigoriste, qui condamne et combat l’idolâtrie. L'État saoudien aurait ainsi, entre 1985 et 2014, détruit 98 % de son patrimoine historique 3.


Citations

Nous n'adorons pas les croix ; nous ne désirons pas même en avoir des représentations. (Minucius Félix, IIe/IIIe s.)

Images et religion sont incompatibles. (Lucius Caecilius Firmianus dit Lactantius + vers 325)

Ce que l'écrit procure aux gens qui lisent, la peinture le fournit aux analphabètes. (Grégoire Ier, +604)

[.] Notre agenouillement devant l’icône du Fils incarné n’est pas l’adoration de son icône, mais l’agenouillement devant le Fils incarné qui est une gloire pour nous. (Triode orthodoxe pour le temps pascal)

Iconoclastes, ce ne sont pas tant les idoles de pierre, de bois ou de métal que vous devez rejeter, mais les idoles de chair ! (Jean-Paul Coudeyrette, Autocitations)


Notes
1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Aniconisme
2 http://www.fondation-vision.ch/visionmedia/page.aspx%3Fid%3D2966
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Iconoclasme

Sources


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 29/03/2024

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