LES MANICHEENS
Priscillianistes, pauliciens, bogomiles, cathares, patarins, publicains et albigeois

SOMMAIRE

1. Le manichéisme - Les patarins
- Vie et mort de Mani - Les albigeois et les publicains
- Les démons du manichéisme - Pierre de Bruys et Henri l'Ermite
- Expansion du manichéisme - Progression de l’hérésie
2. Le priscillianisme - La croisade
3. Les pauliciens - L’inquisition
4. Le manichéisme en Chine - La foi cathare
5. Les bogomiles 7. Citations
6. Le catharisme Notes


1. LE MANICHEISME

Fondé au IIIe siècle par le Perse Mani (ou Manès), le manichéisme est l’une des formes tardives et syncrétistes du gnosticisme.
Mani veut unir le christianisme (sous sa forme gnostique) au mazdéisme, au bouddhisme et à la philosophie grecque.

La doctrine fondamentale du manichéisme est sa division dualiste de l'Univers, divisé en royaumes du Bien et du Mal : le royaume de Lumière (esprit) où règne Dieu, et le royaume des Ténèbres (matière) où règne Satan.
À l'origine, les deux royaumes étaient complètement séparés, mais à la suite d'une catastrophe, le royaume des Ténèbres envahit le royaume de Lumière ; ils se mélangèrent et entamèrent une lutte perpétuelle.
La race humaine est à la fois résultat et microcosme de ce conflit. Le corps humain est matériel, donc mauvais ; mais l'âme humaine est spirituelle, morceau de la Lumière divine, et doit être rachetée de son emprisonnement dans le corps et le monde.
"Le bien et le mal habitent dans chaque homme" (Mani, Kephalaia, I).
Le chemin de la Rédemption passe par la connaissance du royaume de Lumière, communiquée par les prophètes, Zarathushtra (zoroastrisme ou mazdéisme), Bouddha, Jésus et Mani (le dernier). Grâce à cette connaissance, l'âme humaine peut vaincre les désirs matériels qui l'emprisonnent et atteindre le royaume divin.

Les manichéens se divisent en 2 classes, selon leur degré de perfection spirituelle :
- Les premiers, qu'on nomme élus, pratiquent un célibat et un végétarisme rigoureux, ne travaillent pas et prêchent. Tout achat, toute richesse, toute possession, la moindre occupation mondaine sont condamnés. Outre cinq commandements particuliers, la règle des Trois Sceaux est imposée à l’élu dans toute sa rigueur : il doit sans défaillance ni exception se conformer au sceau de la bouche, c’est-à-dire s’abstenir de la nourriture carnée, du sang, du vin, de toute boisson fermentée, comme de toute parole blasphématoire ; obéir au sceau de la main, c’est-à-dire ne commettre aucune action capable de léser en quoi que ce soit la Croix de Lumière ; observer le sceau du sein, c’est-à-dire garder la continence la plus sévère, éviter tout contact ou tout commerce charnel, s’interdire de procréer. Les élus sont assurés d'entrer au Royaume de Lumière après leur mort.
- L'autre classe est constituée des auditeurs, beaucoup plus nombreux et d'un niveau spirituel inférieur. Ils doivent se conformer à un Décalogue : ne pas se livrer à l’idolâtrie ou à la magie, ne pas mentir, ne pas se montrer avare, ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, ne pas faire preuve de duplicité ni de mollesse, ne pas négliger les exercices de piété. Ils sont libres de posséder, de bâtir, de semer, de récolter, d’être agriculteurs, artisans ou commerçants, de manger de la viande et de boire du vin, de se marier ou de vivre avec une concubine, d’avoir des enfants (bien que la procréation soit déconseillée). Ils observent des jeûnes hebdomadaires et servent les élus. Ils ne peuvent qu’espérer renaître dans le corps d'un élu.
La distinction entre les élus et les auditeurs revient à celles qu’établissent les gnostiques entre pneumatiques et psychiques, les cathares médiévaux entre perfecti et credentes, ou, plus spécialement, les valentiniens et les naassènes entre l’Église élue et l’Église appelée.
À la fin des temps, tous les morceaux de Lumière divine devraient être rachetés, le Monde matériel détruit et Lumière et Ténèbres à nouveau séparées pour l'éternité.

Vie et mort de Mani

Mani (ou Manès ou Manikhaios ou Manichaeus, c’est-à-dire, en syriaque, Mani hayya = Mani le Vivant), appelé parfois Cubricus, naît le 14 avril 216 en Babylonie.

Patik, le père de Mani, s’est joint à un groupe de sectaires appelés baptistaï (= baptiseurs ou baptistes) par les documents grecs et coptes, al-mughtasilah (= ceux qui se lavent) par les auteurs arabes, menaqqede (= ceux qui purifient ou sont purifiés) et hall heware (= vêtements blancs) dans la tradition syriaque, et identiques, non pas aux mandéens, mais aux elkhasaïtes, adeptes de la doctrine répandue dans le pays des Parthes, vers l’année 100, par le prophète Alkhasaï.
Ces judéo-chrétiens combinent avec des traditions et des observances juives certaines théories d’allure plus ou moins gnostique, mais se réclament de l’autorité et des commandements de Jésus.
C’est au sein de cette communauté que Mani vit jusqu’en 240.

Le 23 avril 240, Mani reçoit de l’ange al-Tawm (= le Compagnon, le Jumeau) l’ordre de proclamer tout haut sa doctrine.
Mani, en qui l’Esprit saint et la Science totale sont censés s’être alors incarnés, annonce qu’il est l’Apôtre de la Lumière envoyé par Dieu, l’Illuminateur parfait, le Paraclet, le Révélateur suprême et le Sceau des prophètes en tant que dernier maillon d’une chaîne de Messagers célestes dont Zoroastre (ou Zarathushtra), Bouddha et Jésus sont les principaux.
Il enseigne que les révélations de ces Apôtres qui l’ont précédé, sont contenues et accomplies dans sa doctrine.
Il ne tarde pas à être exclu de la communauté et à se séparer d’elle définitivement. Il la quitte, accompagné de son père et de 2 partisans.
Mani parcourt l’Empire iranien en tous sens, prêchant la Bonne Nouvelle et organise l’envoi de missions à l’étranger : « Mon espérance ira vers l’Occident et elle ira aussi vers l’Orient, et l’on entendra la voix de son message dans toutes les langues, et on l’annoncera dans toutes les villes. Mon Église est, sur ce point, supérieure aux Églises qui l’ont précédée. Car ces Églises étaient « élues » en des pays particuliers et dans des villes particulières. Mon Église, elle, se répandra dans toutes villes, mon Évangile touchera chaque pays. »
Mani a un grand nombre de partisans dont le roi de Perse Shahpur (ou Sapor) Ier (241-272).

Mais le mage Kirdir, simple prêtre sous Shahpur, devient le chef suprême du zoroastrisme érigé en religion d’État, avec l’appui de Bahram II (276-293). Kirdir combat les égarés de la religion mazdéenne (maguséens et zervanites) ; il persécute les juifs, les chrétiens, les bouddhistes, les brahmanes et les manichéens. Ces derniers représentent un danger sérieux pour le mazdéisme, car le manichéisme est une religion fortement structurée, avec un corps de doctrines que son fondateur a tôt mises par écrit, et redoutable par son expansion prodigieuse et par sa prétention à l’universalité. Les manichéens opposent le vrai Mithra au faux Mithra chevauchant le taureau.
Sur l’instigation de Kirdir, Mani comparaît devant le Roi des rois en personne. Accusé de crime de lèse-religion, il est condamné et traîné en prison.

Epuisé après 26 jours d’épreuve, Mani succombe le lundi 26 février 277, à la 11ème heure. Il est décapité et sa tête exposée à l’une des portes de la ville. Le reste du corps aurait été mutilé et jeté à la voirie, non sans que les fidèles aient pu en recueillir quelques parties, conservées comme reliques.
Selon des versions plus corsées, le cadavre a été coupé en deux, ou bien Mani a été écorché vif avec des pointes de roseau. La peau, gonflée d’air, de paille ou par d’autres moyens, se serait longtemps balancée au vent, pendue à une porte de Belapat ou ailleurs…


MANI 3

Les démons du manichéisme

Les démons de Mani dont le nom générique iranien est deva comme en sanscrit, s'appellent aussi génies, esprits, hmurthas, liliths, faux dieux, archontes, vampires, hobolds, diables et satans...
Un texte manichéen, extrait des Chapitres ou Entretiens de Mani avec ses disciples, décrit l'origine et l'aspect de ces hordes démoniaques :
"Les mondes des Ténèbres sont étendus et infinis. L'on disait : « Vaste et profonde est la demeure des Mauvais dont c'est là l'empire propre. La terre en est une eau noire, la partie haute une obscurité opaque (...) De l'eau noire, le roi des Ténèbres fut, de par sa propre nature mauvaise, formé et surgit. II devint grand, fort et puissant. Il créa et propagea des milliers et des milliers d'espèces à l'infini, des myriades et des myriades d'horribles créatures sans nombre. Et les Ténèbres s'agrandirent et se grossirent de ces deva, génies, liliths, esprits des temples et des chapelles archontes, vampires, esprits des lacs et des nœuds, satans, toutes les hideuses formes des ténèbres, de toute sorte et de tout genre, petits mâles et petites femelles issus des Ténèbres : sombres, noirs, balourds, indociles, colériques, rageurs, venimeux, prompts à la révolte, fétides, sales et puants. Certains d'entre eux sont muets, sourds, bouchés, obtus, bégayeurs, égarés, ignorants ; tels autres hardis, fougueux, puissants, énergiques, emportés, lascifs, enfants du sang, de la flamme attisée et du feu dévorant ; tels autres magiciens, faussaires, menteurs, trompeurs, artificieux, conjurateurs, sorciers, devins. Certains rampent sur le ventre, d'autres glissent furtivement dans l'eau ; certains volent, d'autres ont plusieurs pieds comme les vers de terre. Ils ont molaires et incisives en leur bouche. Le goût de leurs arbres est poison et fiel, leur saveur pétrole et goudron (...) Ce roi des Ténèbres a revêtu toutes les formes des enfants du monde : sa tête est celle d'un lion, son corps celui d'un serpent, ses ailes celles d'un aigle, ses flancs ceux d'une tortue, ses mains et ses pieds ceux d'un démon. Il va, rampe, glisse, marche, est plein d'audace, menace, rugit, siffle, clignote des yeux, émet des sons flûtés. Il connaît toutes les langues du monde. Cependant il a l'esprit obtus et confus ; ses pensées sont embarrassées et il ne connaît ni le principe ni la fin. II sait néanmoins ce qui 1 se passe dans tous les mondes. Il est plus grand que tous les mondes ; il est plus puissant et plus vaste qu'eux tous, plus fort que toutes ses créatures et plus vigoureux qu'elles. Quand il lui plaît, il se cache à leurs yeux, de façon à n'en être point vu mais il sait ce qui se passe dans le cœur de qui se tient devant lui. A son gré, il dilate son corps ; à son gré, il se fait petit. Il ramasse ses membres et les étire à nouveau, et il tient de l'homme comme de la femme. Il perçoit tous les secrets. Sa colère s'exprime par cent moyens ou effets : voix, parole, souffle, haleine, œil, bouche, main, pied, force, fiel, fureur, discours, peur, angoisse, tressaillement, tremblement, rugissement; alors tous les mondes des Ténèbres sont plongés dans l'épouvante. Son apparence est horrible, son corps fétide, sa face distorse. L'épaisseur des lèvres de sa bouche mesure 1444 milles. Au souffle de sa bouche, le fer entre en fusion et le roc est par son haleine échauffé. Lève-t-il les yeux, les montagnes s'ébranlent. Au murmure de ses lèvres les plaines sont secouées..." (Satan, le Prince des Ténèbres en son royaume)

Expansion du manichéisme

Dans le siècle qui suit la mort de Mani, le manichéisme se répand à l'Est jusqu'en Chine et, à l'Ouest, dans tout l'empire romain (Rome est atteinte sous le pontificat de Miltiade, 311-314) jusqu’en Afrique du Nord et en Espagne où il se manifeste au VIe siècle.
En 297, l’empereur Dioclétien adresse, d’Alexandrie au proconsul d’Afrique, Julianus, un édit (dit du Maximum) stigmatisant la pernicieuse et monstrueuse nouveauté introduite par la nation perse dans l’Empire romain ; l’édit condamne à la mort et à la confiscation de leurs biens les chefs de la secte manichéenne.
Le manichéisme ne succombe pas sous ce coup : nombre de chrétiens égyptiens ne peuvent être que sensibles à une doctrine qui présente tant d’affinités avec la gnose, notamment avec l’encratisme.

Augustin d’Hippone est auditeur de la secte pendant 9 ans environ (de 373 à 382).
Il imagine le dialogue suivant entre un manichéen (Fauste) et lui-même :
« Augustin : - Croyez-vous qu'il y ait deux dieux ou qu'il n'y en ait qu'un seul ?
Fauste : - Il n'y en a absolument qu'un seul.
Augustin : - D'où vient donc que vous assurez qu'il y en a deux ?
Fauste : - Jamais, quand nous proposons notre créance, on ne nous a ouïs seulement parler de deux dieux. Mais dites-moi, je vous prie, sur quoi vous fondez vos soupçons.
Augustin : - C'est sur ce que vous enseignez qu'il y a deux principes, l'un des biens, l'autre des maux.
Fauste : - Il est vrai que nous connaissons deux principes ; mais il n'y en a qu'un que nous appelions Dieu ; nous nommons l'autre hylé (= la matière), ou, comme on parle communément, le démon. Or, si vous prétendez que c'est là établir deux dieux, vous prétendez aussi qu'un médecin qui traite de la santé et de la maladie établit ainsi deux santés, ou qu'un philosophe qui discourt du bien et du mal, de l'abondance et de la pauvreté, soutient qu'il y a deux biens et deux abondances
. »

Le marcionisme et l’encratisme se fondent probablement dans le manichéisme.

Dès le IIIe siècle, l'hérésie chrétienne novatienne est qualifiée de cathare (du grec kataros = pur) parce qu'elle excommunie tous les chrétiens apostats ou simplement fautifs, même repentis.

Epiphane signale sous le nom d’apostoliques ou apotactiques une secte manichéenne du IVe et du Ve siècle qui professe le refus du mariage, la continence et le détachement des biens matériels.

Le pape Sirice (384-398) combat les hérésies des novatiens, des donatistes, des priscillianistes et des manichéens en général.

Les Yezidi (ils s'appellent Dasni), de langue kurde, qui vivent au nord de Mossoul, ont conservé une religion syncrétiste intégrant des éléments du paganisme chamanique, du mazdéisme (zoroastrisme), du manichéisme, du judaïsme, du nestorianisme et de l'islam.


2. LE PRISCILLIANISME

Priscillien (340-385), espagnol né près de Cordoue, laïque riche et cultivé, mène vers 370 une vie d’ascétisme sévère, qui lui vaut une grande réputation et lui attire de nombreux disciples : des femmes, des clercs, et même des évêques.

Sa doctrine est un mélange de sabellianisme, de docétisme, de panthéisme et de manichéisme.
On lui reproche de s’abstenir de la communion, de déclarer la chair des animaux immonde, de tenir des réunions secrètes et de s’y livrer à des pratiques immorales, de professer, par contre, un rigorisme qui va jusqu’à la condamnation du mariage, et de recommander la lecture de livres apocryphes.

En 380, le concile de Saragosse condamne ces pratiques, mais sans nommer Priscillien lui-même.
Priscillien, Elpidius et deux évêques, Instantius et Salviano, cités au concile, ne se présentent pas.
Priscillien est consacré évêque d’Avila par deux prélats qui partagent ses idées.
Les évêques, Hydacius d’Emerita (Mérida) et Ithacius d’Ossonoba, ayant obtenu de l’empereur Gratien un décret de bannissement contre les manichéens, Priscillien passe alors en Aquitaine (Bordeaux) où il recrute de nouveaux disciples, puis en Italie où il essaie en vain d’obtenir l’appui d'Ambroise et du pape Damase (qui refuse de le recevoir).
Priscillien s'adresse alors à l'empereur Gratien afin de faire casser le décret, rendu sur la demande d'Ithace, qui chasse les priscillianistes de leurs églises. Il réussit dans cette dernière démarche et revient en Espagne où sa secte prend un accroissement encore plus considérable.
Après la mort de l'empereur Gratien (383), l'évêque Ithace s'empresse de s'adresser au nouvel empereur Maxime et de faire appel de nouveau au bras séculier. Maxime, qui s’est emparé du pouvoir en Gaule contre Gratien et cherche à se gagner les évêques catholiques, convoque un concile à Bordeaux pour examiner l’affaire (384).
Priscillien demande à être jugé par Maxime lui-même qui réside à Trèves. Hydacius et Ithacius l’y rejoignent et jouent le rôle d’accusateurs.
Malgré l’intervention de Martin de Tours, alors à Trèves lui aussi, Priscillien est convaincu de maléfice et de pratiques immorales. Il est condamné à mort et exécuté, avec 6 de ses disciples, dont une femme, en janvier 385 : ils sont les premiers dans l’histoire à subir la peine de mort pour hérésie.
Martin de Tours, Ambroise et le pape Sirice protestent contre cette mesure et rompent la communion avec Hydacius et Ithacius.

Priscillien est vénéré comme martyr par ses disciples ; après la chute de Maxime, la secte se répand dans toute l’Espagne.
Combattue par Jérôme de Stridon et par Augustin d'Hippone et condamnée par le concile de Tolède (400), elle subsiste jusqu’au VIe siècle et est condamnée une dernière fois par le concile de Braga (561-563) :
"Si quelqu'un prétend que le diable n'a pas été d'abord un (bon) ange fait par Dieu, et que sa nature n'a pas été l'œuvre de Dieu, mais (s'il) prétend qu'il est sorti du chaos et des ténèbres et qu'il n'a personne pour auteur de son être, mais qu'il est lui-même le principe et la substance du mal, comme le disent Mani et Priscillien, qu'il soit anathème. (…) Si quelqu’un condamne le mariage humain et abhorre la procréation des enfants, comme Mani et Priscillien l’ont dit, qu’il soit anathème. Si quelqu’un dit que la formation du corps humain est l’œuvre du diable et que la conception dans le sein maternel est le travail des démons, et si, pour ce motif, il ne croit pas à la résurrection de la chair, comme Mani et Priscillien l’ont dit, qu’il soit anathème."

En 445, le pape Léon le Grand fait expulser les communautés dualistes hors de Rome et de l’Italie. Il lutte également contre le pélagianisme, le nestorianisme, le monophysisme et le priscillianisme (Léon invite l’évêque d’Astorga en Galice à réunir un concile contre les priscillianistes).
En 491, le manichéisme bénéficie en Orient de la protection de l'empereur Anastase Ier.
Les empereurs Justin et Justinien promulguent en 527 la loi édictant contre les sectaires la peine capitale ; la loi est implacablement mise à exécution par les autorités civiles et ecclésiastiques qui s’en prennent, entre autres, aux manichéens.
En 529, le mouvement des mazdakites, proche du manichéisme, est anéanti dans le sang.


3. LES PAULICIENS

Au VIIe siècle, les pauliciens, apparus au sein du christianisme d'Asie Mineure et sans doute influencés par le manichéisme perse, adoptent à leur tour une théologie dualiste et ascétique. Leur nom proviendrait de Paul l'Arménien, prédicateur manichéen du VIIe siècle et organisateur d'un mouvement regroupant des communautés agraires qui n'hésitent pas à s'armer, mort en 715.
Les hérésiarques pauliciens, aux tendances gnostiques, rejettent tout le Nouveau Testament, sauf Paul. Ils rejettent aussi le clergé, la croix, les saints, l'Eucharistie, les sacrements, le mariage et le cérémonial des Églises grecques et romaines, et surtout leur formalisme et leur appétit pour le pouvoir et la richesse. La communion se fait par l'enseignement du Christ et non par l'Eucharistie. Ils prônent une lecture intérieure et personnelle des Écritures, la méditation et la prière. Le Pater Noster est leur seule prière.
La secte paulicienne se développe surtout en Arménie où elle subit les persécutions des empereurs byzantins à partir du VIIIe siècle.
Le VIIIe siècle est une période florissante pour les manichéens de Mésopotamie, grâce au régime de tolérance dont ils jouissent durant le khalifat des Omayyades.
L’avènement des Abbassides en 775 amène un revirement de la situation. Al-Madhi (775-785) entame des persécutions sanglantes plus ou moins pratiquées par ses successeurs.
Sous al-Moqtadir (908-932), les manichéens doivent chercher refuge dans le Khorasan.

Sur l’ordre de l’empereur Constantin V Copronyme (741-775), puis de Jean Ier Tzimiskès (969-976), les pauliciens sont déportés en masse de Syrie et d’Arménie en Thrace et dans les environs de Philippopolis (Plovdiv), en Bulgarie, d'où leur surnom de bulgares, transformé en bougres par les Français qui désigneront ainsi les cathares.
Ils contribuent, avec d’autres groupes gnostiques tels que les messaliens, à faire naître dans ces régions, vers 940, le mouvement des bogomiles que le patriarche de Constantinople, Théophylacte (933-956), dénonce, dans une lettre au tsar Pierre de Bulgarie comme un manichéisme mâtiné de paulicianisme.

En 843, Théodora, veuve de l’empereur Théophile (829-842) et régente au nom de son fils, le petit Michel III, persécute les manichéens qu’elle fait périr en grand nombre.
Sous le règne de Michel III l’ivrogne (+ 867), deux grands hommes d’État, le logothète Théoctistos et le césar Bardas, frère de Théodora, prennent l’offensive contre les Arabes et aussi contre les hérétiques pauliciens qui, persécutés par Théodora, ont constitué sur le haut Euphrate un État indépendant, allié aux Arabes.
Les pauliciens apparaissent dans une chronique latine de la première croisade : on les mentionne comme alliés des Sarrasins à la bataille de Dorylée, en juillet 1097.

Pour échapper à l'autorité du patriarche de Constantinople, les pauliciens se font catholiques au XIIIe siècle. Aujourd’hui 70 000 fidèles pratiquent le rite paulicien, proche du rite arménien et forment deux diocèses (distincts de l'exarchat bulgare de rite byzantin) : Nicopoli (à Roussé) et Sofia-Philippopoli (à Plovdiv).


4. LE MANICHEISME EN CHINE

D’après un fragment de texte provenant d’Asie centrale, le manichéisme fait son apparition en Chine en 675.
Le 16 juillet 731, sur ordre de l’empereur Xuanzong, le Catéchisme de la religion du Buddha de Lumière, Mani (Moni guangfo jiao fa yi liüe) est composé par un évêque manichéen.
Le texte, adroit mélange de taoïsme, de bouddhisme et de manichéisme et présentant Laozi et Sakyamuni (Bouddha) comme des précurseurs ou des avatars antérieurs de Mani, est destiné à renseigner les autorités sur les dogmes, les Écritures, la discipline de la secte afin de la faire agréer officiellement.
En 732, un édit accorde la liberté de culte à la doctrine de Mo-mo-ni (Mar Mani).
Entre 754 et 775, l’Église de la Lumière a pour chef suprême, pour imam, un Africain, Abu Hilal al-Dayhuri.

La conversion, en 763, d’un souverain des Ouïghours (Turcs septentrionaux), sans doute Buqu Qan, fait du manichéisme la religion officielle de l’État ouïghour.

En 843, l’empereur Wuzong interdit le manichéisme dans le Royaume du Milieu et persécute ses adeptes.

Un édit impérial de 1370 proscrit, en Chine, la religion du Vénérable de la Lumière.


5. LES BOGOMILES

Vers 940, en Bulgarie, le pope Bogomil (= ami de Dieu en bulgare), qui enseigne que l'État et l'Église sont des créations de Satan, prend la tête d’un mouvement de contestation du régime féodal et du pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique.
En 973, le prêtre Kosmas lance un appel contre les insurgés bogomiles.
Le bogomilisme subsista en Bosnie, où il aurait été la religion officielle jusqu'à la conquête turque, à la fin du XVe siècle.
La pensée bogomile est fondée sur un système manichéen qui oppose lumière et ténèbres, esprit et matière (Bien et Mal) et puise ses préceptes dans l’Evangile, n'acceptant dans l'Ancien Testament que les Psaumes et le Livre des Prophètes.
Les bogomiles considèrent que la création, qu'ils jugent mauvaise, ne peut être que l'œuvre d'un Dieu obscur, à laquelle ne saurait participer le Dieu bon.
Ils s'opposent à l’Eglise officielle (l'Eglise de Rome est la Prostituée de Babylone), pratiquent un ascétisme très strict (ils n'ont aucun rapport sexuel, font voeu de pauvreté et ne mangent ni viande ni oeufs), refusent les images (la croix, en particulier) et le temple ; ils rejettent la Trinité (qui, pour eux, fait du Père une personne supérieure au Fils et au Saint-Esprit), la naissance divine du Christ (et même la réalité de sa forme humaine) et les sacrements du baptême, de l’eucharistie et du mariage.


6. LE CATHARISME

Il est probable que les sectes, successivement apparues, des pauliciens, des bogomiles et des cathares forment les anneaux d’une même chaîne : le paulicianisme engendre le bogomilisme qui donne, à son tour, naissance au mouvement cathare.

Les cathares (du grec kataros = pur) adhérent à un système dualiste manichéen qui prospère autour de la Méditerranée depuis des siècles.
Les dualistes croient en l'existence séparée et indépendante d'un dieu du Bien et d'un dieu du Mal.
Les cathares se signalent par leur ascétisme rigoureux et une théologie dualiste fondée sur le manichéisme, issu du gnosticisme et du zoroastrisme (mazdéisme réformé par Zarathoustra) : la croyance en l'affrontement du Bien et du Mal, reflet d'un univers composé d'un monde spirituel créé par Dieu opposé au monde matériel créé par Satan.

En Europe occidentale le mouvement cathare, diffusé par les réfugiés bogomiles, se répand, à partir de la fin du Xe siècle, en Italie, en Lombardie, en Rhénanie, aux Pays-Bas, en France (Champagne, Bourgogne, Carcassonne, Toulouse, Albi) et en Catalogne.

Les patarins

Les cathares d’Italie sont appelés patarins (de l'italien patarino = chiffonnier, de Pataria, un quartier pauvre de Milan).
A l’origine, les patarins forment une communauté de clercs du XIe siècle qui tente de réformer le clergé concubinaire et simoniaque avec l'assentiment du pape Grégoire VII.
Elle finit par se lier aux bogomiles et aux cathares au XIIe siècle.

Les albigeois et les publicains

Les cathares du nord de la France sont qualifiés de publicains, ceux du Sud-ouest d'albigeois. Persécutés puis chassés du Nord, les prédicateurs cathares doivent se diriger vers le sud où ils sont mieux accueillis dans la province semi-indépendante du Languedoc et dans les régions environnantes.
Vers 1017 : le catharisme, apparu en Limousin, gagne l’Aquitaine.
Vers 1020 : le catharisme s’étend dans le comté de Toulouse et dans le midi.
Le 28 décembre 1022, à Orléans, condamnées au bûcher par un concile, 14 bogomiles (des clercs qui ont pratiqué l'imposition des mains qui selon eux lave les péchés, emplit du don du Saint -Esprit et sauve l'âme et des nobles) sont brûlés devant le roi Robert II le Pieux et la reine (peu avant des hérésies similaires ont été punies par le feu en Espagne et en Italie).
En 1030, des cathares sont exécutés à Monteforte et à Asti en Italie.
En 1114, on exécute des cathares, désignés comme apostoliques, à Cologne et dans la région de Soissons.
En 1118, le grand prédicateur bogomile Vasili, condamné pour hérésie par l'empereur byzantin Alexis Ier Comnème, périt sur le bûcher.
En 1120, le pape Calixte II dénonce l'hérésie cathare.
En 1135, les cathares découverts à Trêves et Utrecht sont brûlés sur ordre de l'empereur Lothaire.
En 1143, Eckbert von Schönau cite 10 préceptes hérétiques des cathares germaniques : « Ils rejettent le mariage, le baptême des enfants. Ils nient l'existence du purgatoire et la présence du corps et du sang du Christ dans l'Eucharistie ainsi que l'humanité du Sauveur. Ils considèrent comme inutiles les prières pour les âmes des défunts et condamnent la messe de la même manière. A leurs yeux, seul compte le baptême des adultes par l'Esprit-Saint et le feu. Ces hérétiques proclament que la procréation est l'œuvre du diable, que l'âme humaine, esprit rejeté du Royaume céleste et enfermé dans un corps d'homme, ne peut trouver le salut que par les bonnes œuvres. Enfin, les dualistes évitent de consommer toute nourriture carnée ».
En 1144, le chapitre de la cathédrale de Liège envoie au pape Lucius II une lettre décrivant les blasphèmes de cette néfaste hérésie qui consistent à nier la rémission des péchés dans le baptême, à réputer vain le sacrement du corps et du sang du Christ, à condamner le mariage, à prétendre qu'il n'y a d'autre Eglise catholique que la leur, à considérer tout serment comme un crime.
En 1145, Bernard de Clairvaux accompagne le cardinal-légat Albéric et prêche à Poitiers, Bergerac, Périgueux, Sarlat, Cahors, Verfeil, Albi, etc.
En 1146, Geoffroy d’Auxerre signale que le populus civitatis albigensis (= le pays albigeois) est infesté par l’hérésie.
En 1147, à Verfeil, Bernard de Clairvaux est conspué lors d’un prêche contre les cathares.
Des francigènes rencontrent à Constantinople des représentants de l’Ordre (cathare) de Bulgarie, dont ils adoptent la doctrine modérée.
De retour en France, ils instituent un évêque de France.
Ils influencent au sud de la Loire les Provinciales qui embrassent leurs idées et créent à leur tour quatre évêques, à Carcassonne, Albi, Toulouse et Agen.

Pierre de Bruys et Henri l'Ermite

Le 22 mars 1148, au concile de Reims, le pape Eugène III fulmine dans un canon une peine d'excommunication pour tous ceux qui viendraient en aide ou recevraient des hérétiques. Le concile condamne Henri l'Ermite ou Henri de Lausanne (déclaré hérésiarque au concile de Pise en 1135) à la prison perpétuelle et anathématise ses doctrines.
Malgré les efforts tentés au XIIe siècle pour rétablir la discipline en France, les désordres du clergé sont extrêmes ; les clercs, les prêtres, les chanoines vivent publiquement avec des femmes ; dans beaucoup d'églises, tout se vend à prix d'argent : même les sacrements.
Telles sont les circonstances qui aident à la propagation des doctrines de Pierre de Bruys (prêtre et prédicateur français qui parcourut le Dauphiné, la Provence et le Languedoc et périt, vers 1131, dans les flammes d'un bûcher qu'il avait allumé pour brûler des croix) et d'Henri l'Ermite ou Henri de Lausanne (ancien moine qui suivit Pierre de Bruys et fut emprisonné en 1148).
Un grand nombre de manichéens se rallient à la nouvelle secte, qui, en peu d'années, fait des progrès immenses, surtout dans le midi de la France.
Les henriciens (partisans d'Henri l'Ermite) rejettent l'Ancien Testament, le culte extérieur tout entier, surtout le culte de la croix, condamnent l'usage des églises, des sacrements, des chants et des prières publiques. Ils repoussent la messe, nient l'efficacité des prières pour les morts. Ils admettent le baptême mais ne le confèrent qu'aux adultes comme dans la primitive Eglise.
Sous l'influence des prédications des novateurs, dans plusieurs contrées, le peuple entre en fureur contre le clergé.
Les sectaires se réunissent en troupes, maltraitant les prêtres, saccageant les églises, brûlant les croix, rebaptisant de gré ou de force les habitants des lieux qu'ils traversent.
Les contradictions les plus singulières se rencontrent dans les doctrines des henriciens : tandis qu'ils condamnent généralement le mariage, un certain nombre d'entre eux veulent contraindre les moines à prendre femme.
Les doctrines d'Henri l'Ermite lui survivront et se fondront dans l'hérésie des albigeois.

Progression de l’hérésie

Nicolas, évêque de Cambrai, enregistre la condamnation portée par les évêques de Cologne, Trèves, Liège, entre 1151-1152 et 1156, contre un clerc, Jonas, convaincu de l’hérésie des cathares. Dans ses sermons visant les hérétiques rhénans, Eckbert, abbé de Schönau, leur reproche d’avoir eux-mêmes assumé cette appellation de purs.
Dans sa bulle du 5 février 1153, adressée à l'évêque d'Arras, le pape Eugène III s'inquiète des progrès de l'hérésie dans le Nord de la France et en Flandre.
En 1163, le concile de Tours évoque les haeretici albigenses (= hérétiques albigeois).
En 1165, le concile de Lombers (Tarn) condamne des hérétiques.
En mai 1167, Papaniquintas (Niquinta, Nicetas ou Nikitas), évêque bogomile ou pape des hérétiques de Constantinople, de l’ordre de Dragovitza, préside, en Lauragais, au château de Saint-Félix de Caraman, près de Toulouse, une assemblée de cathares albigeois et italiens. Six Églises sont représentées : celles des francigènes au nord de la Loire, d’Albi au sud, avec leurs évêques Robert d’Épernon et Sicard Cellerier, celle de Lombardie que dirigeait Marc, et les conseils des Églises de Toulouse, Carcassonne, Aran (Agen), qui réclament et élisent chacun leurs chefs respectifs. Niquinta confère à tous le consolamentum de son ordre. Il consacre ensuite et renouvelle dans leurs fonctions épiscopales Robert d’Épernon et Sicard Cellerier ; il titularise Marc, évêque de Lombardie, et consacre les trois dignitaires élus : Bernard-Raimond à Toulouse, Guiraud-Mercier à Carcassonne, Raimond de Casals à Agen.
En 1177, le comte de Toulouse, Raimond V, constate que l'hérésie a pénétré partout. Elle a jeté la discorde dans toutes les familles ... des prêtres eux-mêmes cèdent à la tentation. Les églises sont désertes et tombent en ruine.
Le pape Alexandre III (1159-1181) envoie son légat Pierre, cardinal de Saint-Chrysogone, en mission auprès des cathares, sans résultat.

1178-1181 : précroisade contre les albigeois.

Les conciles de Latran III (1179) et de Latran IV (1215) condamnent les albigeois et les vaudois (bien que les théologiens les distinguent soigneusement et que les vaudois soient hostiles aux cathares).

En Juillet 1181, le légat du pape Henri de Marcy, cardinal d'Albano, assiège et prend Lavaur, défendue par Adélaïde de Toulouse, qui se soumet, ainsi que son époux Roger II Trencavel. Arrêtés, deux parfaits sont emmenés devant le concile du Puy-en-Velay (15 septembre) où ils abjurent leur foi 6.

En 1184, le concile de Vérone condamne le néomanichéisme (catharisme). Le pape Lucius III et Frédéric Barberousse définissent les châtiments corporels à infliger aux hérétiques. Le concile donne ordre aux évêques de rechercher eux-mêmes les hérétiques ; il fait appel aux princes et aux seigneurs pour lutter contre l’hérésie sous peine d’excommunication ; il crée une constitution qui fait des évêques les premiers inquisiteurs et qui livre aux bras séculiers clercs et laïcs coupables d’hérésie.

Le 25 mars 1199, la bulle Vergentis in senium d'Innocent III établit la procédure inquisitoriale contre les albigeois.
Innocent III s’adresse au roi Émeric de Hongrie, dans une décrétale, en lui demandant de réagir contre la propagation de l’hérésie patarine en Bosnie.

1200 : apogée du catharisme méridional.

En 1205, de retour de Danemark, Diègo d'Acebes, évêque d'El Burgo de Osma (Espagne), et Dominique de Guzman vont à Rome et obtiennent du pape Innocent III la mission de parcourir, avec quelques compagnons, les régions atteintes par l'hérésie et d'y prêcher l'Evangile par la parole et par l'exemple.
Ils sont frappés par les abus du clergé et l'importance qu'a prise l'hérésie des albigeois.
Comme les bons hommes, ils prennent la route à pied, dans le dénuement, emportant seulement les livres nécessaires à l'office, l'étude et la dispute (l’explication théologique qu'ils mènent avec les hérétiques).
En 1206, en accord avec son évêque, Dominique quitte le chapitre d'Osma et la communauté des chanoines de Saint-Augustin, pour devenir curé de paroisse à Fanjeaux (Aude), près de Carcassonne, en plein pays cathare. Pour concurrencer une institution cathare comparable, il fonde, le 27 décembre 1206, à Prouilhe (près de Fanjeaux) un monastère pour quelques parfaites converties chargées de prier pour la conversion des cathares.
En 1207, une dispute théologique est organisée sur plusieurs jours à Montréal, près de Carcassonne entre le futur saint Dominique et l’évêque cathare Guilhabert de Castres, mais la prédication échoue.

La croisade

En 1207, Innocent III, dans une lettre aux évêques du Midi, expose pour la première fois les principes qui justifient l’extension de la croisade en pays chrétien : l’Église n’est plus obligée de recourir au bras séculier pour exterminer l’hérésie dans une région ; à défaut du suzerain, elle a le droit de prendre elle-même l’initiative de convoquer à cette œuvre tous les chrétiens, et même de disposer des territoires contaminés en les offrant, par-dessus le suzerain, comme butin aux conquérants.
Cette pratique, appelée terram exponere occupantibus ou terram exponere catholicis occupandam (livrer la terre aux occupants, ou à l’occupation des catholiques), recevra aux XVIe et XVIIe siècles le nom d'exposition en proie.
Le 15 janvier 1208, après une vaine entrevue avec Raimond VI à Saint-Gilles, le légat Pierre de Castelnau est assassiné près d’Arles par un personnage que l’on identifie comme un écuyer du comte, sans que cette identification et la responsabilité du comte soient prouvées.
Le 10 mars, le pape appelle à la croisade (elle durera jusqu’en 1229 où la lutte de l’Église contre les hérétiques prendra alors la forme de l’Inquisition).
Le 1er mai 1209, le roi de France, Philippe II Auguste, et le légat du pape, Arnaud Amaury (ou Amalric), abbé de Cîteaux, convoquent une assemblée des grands du royaume, près de Sens, pour préparer la croisade contre les Albigeois.
En juin, les Croisés se rassemblent à Lyon.
Le 22 juillet, les croisés de Simon de Montfort saccagent Béziers et massacrent 7 000 personnes (même celles réfugiées dans l'église), en présence du légat du pape, archevêque de Narbonne et abbé de Cîteaux, Arnaud Amaury (ou Amalric) auquel le moine allemand Césaire de Heisterbach attribuera (dans son recueil Dialogues des miracles écrit entre 1219 et 1223) la phrase : « Massacrez-les ! Car le seigneur connaît les siens. ». Césaire est le seul à faire cette citation qui n'est rapportée par aucune autre source locale et contemporaine. Jusqu’à sa mort, Arnaud Amaury niera avoir prononcé ces mots. Au début du siège de la ville, le légat a exigé que tous les catholiques sortissent de la ville afin qu'ils ne partageassent pas le sort des cathares.
En août, Carcassonne est conquise.
Le 12 septembre, le concile d’Avignon, tenu par Hugues Raymond, évêque de Riez, et rassemblant quatre archevêques et vingt évêques, prononce l'excommunication des consuls toulousains et une deuxième excommunication de Raymond VI.
En novembre, prise et mutilation de Bram (Aude) : 100 cathares ont les yeux crevés et le nez coupé.
Le 22 juillet 1210, Minerve (Aude) est prise par l'armée croisée de Simon IV de Montfort : les Cathares qui refusent d'abjurer sont brûlés vifs.
Le 23 novembre, siège et prise de Termes (Aude) par Simon IV de Montfort.
En 1211, se tient le concile de Tarnovo (Bulgarie) contre les bogomiles jugés comme hérétiques.
Le 3 mai, Lavaur est prise par les croisés qui brûlent 400 albigeois ; dame Guiraude ou Géralda de Laurac, après avoir été livrée aux soldats, est jetée vive au fond d'un puits et enfouie sous des pierres.
En 1213, la coalition occitano-aragonaise est battue par les Croisés à Muret.
En 1215, le 4e concile de Latran attribue à Simon de Montfort le pays conquis sur le vieux comte de Toulouse qu’il déchoit de tout droit de souveraineté et fait des dominicains les prédicateurs officiels de l'orthodoxie catholique. La même année, Dominique fonde l'ordre des Frères prêcheurs.
L’empereur Frédéric II en 1220 et 1224, le roi de France Louis VIII en 1226, la régente Blanche de Castille et le comte de Toulouse lui-même en 1229, publient des ordonnances contre les hérétiques.
De Pâques 1224 à 1226, Antoine de Padoue, qui a acquis une expérience en ce domaine en Italie du Nord (Rimini, Bologne), prêche en terre cathare dans le midi de la France.
En 1225, les chefs cathares se réunissent en concile à Pieusse, près de Limoux.
Le 28 janvier 1226, le concile de Bourges excommunie Raimond VII de Toulouse.
Au printemps, Louis VIII part en croisade contre les albigeois ; il s’empare des terres des Trencavel et du Languedoc septentrional et oriental (sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne) mais renonce à attaquer Toulouse. Louis négocie la cession au domaine royal des territoires annexés par Simon de Montfort et son fils.
Le 12 septembre, à la demande du pape, le roi prend Avignon où les catholiques ont été persécutés.
Au retour de cette croisade, Louis VIII meurt de la dysenterie (qui ravage son armée) à Montpensier en Auvergne le 8 novembre.
En été 1227, le château de Labécède-en-Lauragais (Aude), commandé par Oliver de Termes, est pris par Humbert de Beaujeu au nom du roi : le diacre hérétique Gérard de la Mole et se compagnons sont brûlés vifs.
Le 12 avril 1229, Jeudi saint, Paris, Raymond VII, comte de Toulouse, battu par Amaury de Montfort (fils de Simon) signe le traité de Paris, négocié à Meaux au printemps, avec la régente Blanche de Castille et se réconcilie avec l'Eglise (il reçoit l'absolution à l'autel, nu-pieds et en chemise ; le traité de Paris, lu publiquement devant le parvis de Notre-Dame, enlève à Raimond VII, au profit du roi de France, toute la façade méditerranéenne ; le reste, c’est-à-dire la région toulousaine, passe, à la mort du comte, à son gendre Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis, puis à Philippe III le Hardi en 1271 : dès lors, l’ancien comté sert de cadre au Languedoc royal.
En avril toujours, par l’ordonnance Cupientes, adressée aux citoyens de Nîmes et de Carcassonne et aux fidèles des deux diocèses contre les hérétiques et les excommuniés : "Le roi ordonne la punition des hérétiques condamnés par leur évêque, défend de leur donner asile, enjoint aux barons et aux officiers royaux de les poursuivre, promet une prime à ceux qui les prendront, prescrit la saisie des biens meubles et immeubles de tout hérétique non réconcilié au bout d'un an, rétablit au profit des églises les dîmes usurpées, avec ordre aux barons, vassaux, et bonnes villes de jurer l'exécution de l'ordonnance entre les mains des baillis et à ceux-ci de prêter le même serment dans le mois de leur nomination" 4.
Réuni en automne, le concile de Toulouse fixe la procédure de l’Inquisition : « Les évêques choisiront en chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques de bonne réputation auxquels ils feront serment de rechercher exactement et fréquemment les hérétiques ... » ; les sentences seront prononcées par l’évêque : en cas d’hérésie sans repentir, c’est le bûcher ; en cas de repentir, c’est la prison à vie.

L’inquisition

En février 1231, Grégoire IX confirme les décisions du concile de Toulouse de 1229 fixant la procédure de l’inquisition.
La constitution Excommunicamus enlève aux évêques trop timorés la charge de veiller à l'orthodoxie des fidèles et met les inquisiteurs sous la juridiction spécifique de la papauté. Pour la première fois, un ensemble de mesures attribue à une juridiction d’exception (Inquisitio hereticae pravitatis) le châtiment des ennemis de la foi : l’Inquisition est née.
Grégoire IX munit l’inquisiteur allemand, Conrad de Marburg, de l’ordre de Prémontré, de pouvoirs très étendus pour poursuivre les hérétiques, et particulièrement la secte cathare des lucifériens (découverte en Allemagne) qui s’adonne à des pratiques proches de la sorcellerie ; avec ses auxiliaires Dorso et Jean, Conrad agit avec un tel fanatisme qu’il soulève le mécontentement d’un grand nombre d’habitants et est massacré par des chevaliers dans le voisinage de Marburg.


Gregoire IX approuve les Décrétales, par Raphaël

Le 8 février 1232, par la bulle Ille humani generis, Grégoire IX institue l'Inquisition pontificale qu'il confie aux Frères prêcheurs installe l’Inquisition en Languedoc et deux tribunaux fixes sont mis en place à Carcassonne et à Toulouse, malgré des soulèvements populaires à Toulouse, Narbonne et Albi (1234-1235).
En 1232, une bulle de Grégoire IX, qui accuse de pratiques sacrilèges (sorcellerie, orgies, crucifixion des prêtres) les cathares du Nord, justifie une série de croisades contre les Stedinger du Bas-Weser auxquels il est reproché de perpétuer la tradition des vieilles tribus germaniques. Une première croisade, payée d’indulgences plénières, échoue ; elle sera suivie en 1233 et 1234 de deux autres croisades qui font des milliers de morts.

Le 24 août 1232, se tient le synode cathare de Guilhabert de Castres à Montségur.

Le 13 avril 1233, les premiers inquisiteurs sont nommés par la papauté en France parmi les Frères prêcheurs.
Le 20, la bulle Licet ad Capiendos retire aux tribunaux ecclésiastiques la compétence contre les hérétiques lorsqu'un tribunal d'inquisition existe : Grégoire IX informe les archevêques et les autres prélats qu’il les soulage d’une partie de leur fardeau en choisissant, pour combattre l’hérésie, les Frères prêcheurs.
Le 22, le pape confie au provincial de Provence le soin de désigner plusieurs religieux pour remplir la mission de l'Inquisition, qui doit s'appliquer également aux provinces de Vienne, Arles, Aix et Embrun. L'archevêque de Vienne, Jean de Bernin, mettra en place, avant la fin de l'année, des tribunaux à Avignon, Montpellier et Toulouse. Peu de temps après, les franciscains sont adjoints aux dominicains et leur juridiction s'étend à la chrétienté tout entière.
En juin, une deuxième croisade contre les Stedinger pénètre sur le territoire oriental, resté cependant à l’écart des luttes, et se livre à un massacre général (lors de l’attaque de la rive gauche, Oldenbourg, chef des croisés, est tué avec deux cents de ses soldats).
La même année, l’évêque cathare Vigoureux de Baconia est brûlé vif : il est la première victime de l'Inquisition en France.

Le 27 mai 1234, à la bataille d’Altenesch, 6 000 Stedinger sont mis à mort par une puissante armée levée pour une troisième croisade (en 1236, Grégoire IX consentira à admettre les survivants dans le giron de l’Église, à la condition qu’ils offrent toutes les garanties d’une parfaite obéissance).
Le 14 octobre, Grégoire IX encourage la croisade contre les Bogomiles de Bosnie (fin en 1239).

En 1235, 210 cathares sont brûlés à Moissac. Ayant voulu faire déterrer du cloître Saint-Salvy les restes de chanoines convaincus d'hérésie pour les incinérer, l'Inquisition suscite une révolte à Albi. En novembre, les dominicains sont expulsés de Toulouse.

"Cette année-là (1239, ndlr), le vendredi de la semaine avant la Pentecôte (13 mai, ndlr), fut fait un immense holocauste agréable au Seigneur en brûlant des Bougres (hérétiques cathares, ndlr) ; 183 furent brûlés en présence du Roi de Navarre et des barons de Champagne au Mont-Aimé". [Aubry du Monastère de Trois-Fontaine (Haute Marne)]

Dans la nuit du 28 au 29 mai 1242, veille de l’Ascension, dans le château d'Avignonet, des chevaliers cathares de Montségur, viennent tuer à coups de lance, d'épée et de hache les membres du tribunal de l'Inquisition de Toulouse : les dominicains Guillaume Arnaud, Bernard de Roquefort et Garcia d’Aure, les franciscains Étienne de Saint-Thibéry et Raymond Carbonier, le chanoine Raymond de Cortisan, surnommé Escriban, archidiacre de Lezat et son clerc Bernard, le notaire Pierre d’Arnaud, les clercs Fortanier et Aymar, et le prieur curé d’Avignonet dont on ignore le nom.
Le 30 octobre, à Lorris (Loiret), Raymond VII, comte de Toulouse, qui a repris la lutte, fait la paix avec le roi Louis IX : il renonce à Narbonne et Albi et promet de faire la chasse aux hérétiques cathares.

Le 16 mars 1244, Montségur tombe après un siège de 6 mois par l'armée d'Hugues des Arcis, sénéchal de Carcassonne et de Pierre Amiel, archevêque de Narbonne ; 215 à 225 cathares, qui se sont rendus mais refusent d’abjurer, sont brûlés vifs au pied du château ; de nombreux adeptes du catharisme émigrent en Catalogne, en Sicile et en Lombardie.

Mai à juillet 1246 : condamnations de cathares à Toulouse.

En 1247, Raimon VII fait brûler 80 cathares à Berlaigues près d'Agen.

Après Padern (1248) et Puilaurens (1250), les châteaux de Quéribus et de Niort-de-Sault se rendent en 1255.

Vers 1250-1280, dans l’Aude, le Nouveau Testament est traduit en provençal pour les cathares.

Le 25 août 1271, le nouveau roi de France, Philippe III, hérite de son oncle Alphonse de Poitiers le comté de Toulouse, le Poitou et l’Auvergne.

En 1273, Durand de Rouffiac avoue à l’inquisiteur Ranulphe de Plassac que l’âme n’est rien d’autre que le sang dans le corps.

En 1277, 178 cathares sont brûlés par l’inquisition en Lombardie.

En 1282, est posée, à Albi, la première pierre de la cathédrale-forteresse Sainte-Cécile (le choeur ne sera consacré que le 23 avril 1480) ; le 1er août 2010, la cité épiscopale d'Albi sera inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.

En 1295, l’Église crée, à Pamiers, un évêché et un tribunal d’inquisition. L’évêque Pierre fournier, inquisiteur plutôt modéré, fait périr sur le bûcher 5 hérétiques albigeois de Montaillou d’où il extirpe l’hérésie ; il deviendra le pape Benoît XII en 1334.

1300 : soulèvement albigeois.

Vers 1300, en Ariège, Guillemette Benet d’Ornolac et Raimond d’Aire de Tignac soutiennent que l’âme humaine n’est rien d’autre que le sang.

En 1308, le château de Montaillou, dernier bastion cathare de Haute Ariège, est détruit ; les cathares qui s’y trouvent sont arrêtés et conduits à Carcassonne devant le tribunal de l’inquisition. Les derniers apôtres cathares, les Bonshommes, vont se mettre sous la protection des seigneurs catalans.

En 1320, meurt en détention le franciscain Bernard Délicieux (Deliciosi) qui défendit les albigeois contre l’inquisition à Carcassonne.

Limosus Nigri écrit vers 1320-1325 : « Dieu créateur de toutes choses a d’abord créé les archanges, fils de Dieu. Il leur a accordé une telle puissance qu’ils ont à leur tour créé les anges, moindres qu’eux en valeur et en force. Tous ces êtres sont appelés anges et Vierge Marie. Ceux-ci ont fondé l’abstinence et la chasteté, qui sont supérieures au soleil et à la lune. Les mictions du soleil et de la lune ont, en s’agglutinant, formé la terre. De ce limon putride, Adam et Ève ont été créés par la force du soleil et de la lune, non par Dieu qui est au-dessus de tout péché. Ainsi le soleil, la lune et tous les êtres inférieurs sont faits de corruption... »

Le 24 août 1321, à Villerouge-Termenès, Guilhem Bélibaste, dernier parfait cathare, arrêté en Catalogne, est brûlé vif : « Je ne me soucie pas de ma chair car je n'ai rien en elle : elle appartient aux vers. Le Père céleste n'a rien à lui dans ma chair ... car elle appartient au Prince de ce monde qui l'a faite. »

En 1328, le Sénéchal fait emmurer, dans la grotte de Lombrives, 510 cathares qui s'y étaient réfugiés.

9 septembre 1329 : dernier bûcher connu contre des cathares à Carcassonne.

À Carcassonne, en 1330, l’inquisiteur Henri de Chamay est obligé de renoncer à des procès posthumes.

En 1412 est rendue en Italie la dernière sentence de condamnation au bûcher d'hérétiques dualistes.

Entre le 29 mai et le 10 juin 1463, le Bosniaque bogomile Radak livre la place forte de Jajce (Yaiche) à Mehmed II ; le prince Stepan Tomasevic est décapité ; le sultan s’empare de la Bosnie (la plupart des chrétiens qui se convertissent à l’islam sont des bogomiles) et menace les cités vénitiennes de la côte dalmate.

Le 12 mars 2000, au cours d’une cérémonie pénitentielle à Rome, le pape Jean-Paul II demande solennellement pardon pour les fautes commises dans le passé par les fils de l’Eglise catholique, qui se sont parfois livrés à des méthodes d’intolérance, souillant ainsi le visage de l’Eglise ; 6 cardinaux énumèrent les péchés des chrétiens contre l’Evangile, contre l’unité du christianisme (schismes, excommunications), contre le service de la vérité (croisades, inquisition), contre les juifs (persécutions, mépris, silences), contre les droits des peuples (esclavagisme), des cultures et des autres religions (guerres de religion), contre la dignité de la femme et la justice sociale ; le pape conclut : « Jamais plus d’atteintes à la charité dans le service de la Vérité ; jamais plus de gestes contre la communion de l’Eglise ; jamais plus d’offense envers quelque peuple que ce soit ; jamais plus de recours à la violence ; jamais plus de discriminations, d’exclusions, d’oppressions, de mépris des pauvres et des petits ».
Le 15 juin 2004, Jean-Paul II autorise la publication des actes d’un symposium de théologiens et d’historiens tenu sur l’Inquisition, un dossier de 783 pages dans lequel le pape manifeste le repentir de l’Eglise romaine.

La foi cathare

Les cathares, qui se désignaient sous le nom de Bons Chrétiens, Amis de Dieu ou Bons Hommes, croyaient que toute l'existence est déterminée par la lutte entre deux dieux : le dieu de la Lumière, de la Bonté et de l'Esprit, généralement associé à Jésus-Christ et au Dieu du Nouveau Testament, et le dieu du Mal, de l'Obscurité et de la Matière, associé à Satan et au Dieu de l'Ancien Testament.
La question de savoir si les deux divinités disposent d'un pouvoir égal ou si les forces du mal sont soumises aux forces du bien fut longuement débattue, mais toute entité matérielle (la richesse, la nourriture, le corps humain lui-même) était considérée par définition comme mauvaise et répugnante.
L'âme avait été emprisonnée par Satan dans le corps humain ; le seul espoir d'obtenir le salut était de vivre dans le bien et la spiritualité. En vivant dans le bien, on pouvait se libérer après la mort. Mais si on ne pratiquait pas la vertu pendant sa vie, l'âme renaissait sous une autre forme humaine ou même animale (métempsycose).
"Dès l’origine, Dieu a sciemment créé ses anges dans une telle imperfection qu’ils n’ont pu, en aucune façon, éviter le mal (...) Le mal est imputable non à ce Dieu bon, saint, juste, mais à un principe mauvais. Il faut donc reconnaître deux dieux, l’un bon, l’autre pernicieux, caput et causa de tout mal." (Sacconi).
L'Interrogatio Iohannis (= Questionnaire de Jean), apocryphe d'origine bogomile (fin du XIIème siècle), relate un entretien entre le Christ et Jean au cours duquel ce dernier lui pose diverses questions dont les réponses constituent une bonne part des croyances cathares : « Et ensuite moi, Jean, j'ai interrogé le Seigneur en disant : Seigneur, comment l'homme prend-il sa naissance de l'esprit dans le corps de chair ? Et le Seigneur me dit : Des esprits déchus des cieux entrent dans les corps de boue des femmes, et ils reçoivent la chair de la concupiscence de la chair et l'esprit naît de l'esprit, et la chair, de la chair ; et c'est ainsi que le règne de Sathanas s'accomplit en ce monde. Et j'ai interrogé le Seigneur en disant : Jusqu'à quand Sathanas régnera-t-il en ce monde sur l'existence humaine ? Et le Seigneur me dit : Mon Père lui permit de régner sept jours, à savoir sept siècles ».
Satan assouvit sa concupiscence avec Ève en se servant de la queue du serpent. 5
Les cathares condamnaient Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, les Pères de la Bible ainsi que Jean le Baptiste, comme ennemis de Dieu et ministres du diable, lequel est l’auteur de l’Ancien Testament. Néanmoins, ils acceptaient Job, le Psautier, les Sapientiaux et les Prophètes.
Ils croyaient que Jésus, premier ange appelé fils de Dieu, ne s'était pas réellement incarné mais avait pris l'apparence d'un homme avec l'aide d'un autre ange : Marie. La Vierge était un ange dont la réalité était uniquement spirituelle.
La doctrine cathare, comme le docétisme, niait l’authenticité humaine du Christ qui n’avait subi aucune servitude corporelle, n’était ni mort, ni ressuscité. Les Cathares refusaient donc de vénérer le crucifix 9.
Ce monde n’aura pas de fin et le Jugement futur, ayant déjà eu lieu, ne se renouvellera pas.
L’enfer est ici-bas, non ailleurs.
Les cathares soutenaient que l’Eglise chrétienne traditionnelle, avec son clergé corrompu et son abondante richesse matérielle, était l'agent de Satan et devait être ignorée.
Les saints étaient le produit de l'Eglise de Rome dont ils contestaient la légitimité. Ils ne voyaient pas l'intérêt de promouvoir le culte des reliques qui visaient à sacraliser des restes humains appartenant, pour eux, au monde du Malin.
Les adeptes de la doctrine albigeoise étaient divisés en simples croyants vivant dans le monde et initiés appelés parfaits (perfecti). Seuls les parfaits pouvaient communiquer avec Dieu par la prière.
Ces parfaits ou parfaites se présentaient comme bonshommes, bonnes-Femmes, bons chrétiens ou bonnes chrétiennes. Ils devaient constamment aller par deux personnes du même sexe : chacun avait son sòci, ou compagnon, ou sa sòcia pour les femmes. Cette prédication de deux personnes de même sexe conduira à l'accusation de bougrerie (c'est-à-dire d’homosexualité) fréquemment enregistrée dans les registres de l'Inquisition.
Ils devaient porter barbe et cheveux longs, un bonnet rond et des vêtements noirs. Etaient suspendus à leur ceinture dans un étui de cuir : l'Evangile de saint Jean et une marmite personnelle (pour éviter d'utiliser les récipients qui auraient servi à préparer des aliments avec de la graisse animale, interdite par leur règle). Ils parcouraient les villes et les campagnes pour prêcher ; Ils se ceignaient d'une cordelette autour de la taille (au moment des persécutions, ils gardèrent seulement la corde cachée sous leurs vêtements ordinaires).
Ils se vouaient à un ascétisme extrême. Ils refusaient la procréation. Ils se privaient de tout produit animal : viande, lait, fromage, oeuf. En 1260, les inquisiteurs ordonnèrent à un présumé cathare de tuer un coq : l'homme refusa et fut envoyé illico au bûcher. Renonçant à tous leurs biens, ils vivaient de dons.
Il leur était interdit de prêter serment (ce qui suffisait à les rendre hérétiques puisqu’ils refusaient de jurer devant le tribunal de l’Inquisition).
Ils récitaient le Pater plusieurs fois par jour, une version du Pater différente de celle enseignée par l'Église catholique : en effet, la prière cathare employait la formule « panem nostrum supersustancialem da nobis hodie », au lieu de celle de l'Église catholique « panem nostrum quotidianum da nobis hodie ».
Le melhorament 7 (d'un mot occitan signifiant amélioration ; en latin = melioramentum) est à peu près le seul rite que les croyants cathares devaient pratiquer. C'est une salutation, une adoration au sens liturgique qu'un croyant cathare adressait à un parfait cathare quand il se trouvait en sa présence. C'était une adoration du Bien et de l'Esprit Saint en la personne du Parfait ; et non pas un hommage ou une idolatrie à la personne. C'était aussi une prière par laquelle le croyant demandait à Dieu la grâce d'être amélioré ou perfectionné. Ce rite exprimait de façon parfaite la situation dans laquelle se trouvait le croyant : il n'était pas en état de devenir un saint, mais il aspirait à accéder un jour à la libération. Comme le catharisme ne croyait pas au libre arbitre, les bonnes dispositions que montrait le croyant dans le melhorament faisaient la preuve de son progrès moral et indiquaient qu'il commençait à être aimé de Dieu. Le melhorament consistait en trois révérences ou génuflexions et une demande de bénédiction : "Bon Chrétien, donnez-nous la bénédiction de Dieu et la vôtre ! Priez pour nous !" Le Parfait répondait : "Tenez la de Dieu et de nous". Le croyant répétait trois fois sa requête. À la troisième fois, il formulait le souhait d'être mené à bonne fin et de devenir bon chrétien. Et le Parfait lui répondait : "Que Dieu vous accorde de devenir Bon Chrétien !"
L'aparelhament était une sorte de confession périodique des parfaits (en ce qui concerne les péchés véniels). 8
Les simples croyants pouvaient espérer devenir parfaits après une longue période d'initiation suivie d'un rite appelé consolamentum ou baptême du Saint Esprit, opéré par l'imposition des mains, leur unique sacrement. Certains n’étaient soumis à ce rite qu'au moment de leur mort : afin d'assurer leur salut, ils devaient observer lendura (jeûne prolongé). Réduit au pain et à l’eau, ils expiraient sans avoir failli à leur engagement. Il arrivait que l’entourage du moribond prît l’initiative et le privât de nourriture malgré lui...
Vers l'équinoxe d'automne, les albigeois célébraient la Manisola, la fête du Consolateur 2.

S'il n'y a pas eu officiellement de contacts entre Cathares et Templiers, il n'est pas possible d'imaginer que les deux courants de pensées les plus importants du Moyen Âge existant à la même époque et souvent dans la même région, aient réussi à s'ignorer. Les chevaliers du Temple ne participèrent pas à la Croisade contre les Albigeois. Il y eut certainement des sympathies entre Cathares et Templiers et fort probablement des aides efficaces, notamment à l'époque de la lutte clandestine des Cathares (http://dossiers.secrets.free.fr/enquetes/templiers.cathares.htm).

Une grande partie des idées issues du monde gnostico-manichéen survit jusque dans quelques mouvements modernes, comme la théosophie ou l'anthroposophie. Une branche du rosicrucianisme se réclame des Cathares 9.


7. CITATIONS

Père Saint, Dieu des Bons esprits, toi qui jamais ne trompas, ni ne mentis, ni n'hésitas à subir la mort dans le monde du dieu étranger, donne-nous de connaître ce que tu connais et d'aimer ce que tu aimes ... (Pater cathare).

Tant que le principe manichéen a régné, la volonté de Dieu sur l'homme a été la fatalité. (Eugène Pelletan 1813-1884)

Toute action est manichéenne. (André Malraux, L’Espoir, 1937).

Ainsi, en rassemblant un à un les éclats de cette histoire oubliée, il m'apparaissait de plus en plus certain que certains Templiers avaient non seulement protégé des Cathares mais avaient en outre épousé leur foi. (Christian Doumergue, L'Ombre des Templiers, éd. de l'Opportun, mai 2016)


Notes
1 Ce qui, ce qu'il : il n'est pas de règle formelle pour distinguer ces deux expressions qu'on emploie indifféremment sauf avec falloir (ce qu'il faut et non ce qui faut) et avec plaire où il convient d'employer ce qu'il quand on veut sous-entendre, après plaire, l'infinitif du verbe employé précédemment (Hanse) : je ferai ce qu'il me plaira (de faire). Je fais ce qui me plaît est plus absolu." (Dictionnaire des difficultés de la langue française. Larousse.)
2 Histoire Des Albigeois : Les Albigeois et L'Inquisition par Napoléon Peyrat, 1872
3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Mani.jpg
4 http://www.archives.toulouse.fr/anciensite/fonds/inventaire/articles/AA3/aa3_121.htm
5 R. Nelli (trans.), Écritures cathares, p. 51
6 http://fr.wikipedia.org/wiki/1181
7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Melhorament
8 http://misraim3.free.fr/divers2/les_cathares.pdf
9 http://hautsgrades.over-blog.com/tag/cathares/

Sources


Auteur : Jean-Paul Coudeyrette
Référence publication : compilhistoire.fr ; reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

Date de mise à jour : 08/02/2024

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